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mardi 9 avril 2013

Une généalogie lourde

Georges Bataille voulut se marier avec la sœur de son ami d’enfance, Marie Delteil, et il semble que la seule raison à ce refus ne porte, non pas sur la personnalité de Georges, qui à l’époque n’était pas encore celui qu’il sera—il était alors en effet épris de religion, et sage—mais sur sa famille, sa généalogie plutôt, et les risques qu’elle faisait encourir à une éventuelle descendance.
En effet, il y a un cas avéré de consanguinité, éventuellement un deuxième (mais Michel Surya, dans sa biographie, considère cela douteux et penche plutôt pour une simple homonymie). Mais ce qui très certainement a pesé le plus lourdement est la maladie du père ; le fait que Georges Bataille ait été conçu par un père déjà fortement atteint par la syphilis ne pouvait en effet que laisser craindre le pire.

Le plus étonnant dans ce refus est que Georges donne raison aux parents de Marie et se range de leur avis. Il s’attriste, se désespère même (« je me serais tué assez volontiers » avoue-t-il dans sa lettre du 29 octobre 1919) mais il ne se révolte ni ne s’indigne. Il s’en étonne encore moins : il sait en effet « ce que son mariage peut avoir d’inconvénients, c'est-à-dire que peut-être, il a plus qu’un autre des chances d’avoir un enfant malsain ; et [il] trouve assez juste qu’on l’écarte » seulement, reproche-t-il, « il fallait le faire un peu plus tôt », avant que les deux enfants ne se lient ensemble par un amour réciproque et nourri par l’espoir d’une union autorisée et possible.

Cette union avec Marie Delteil était à plus d’un titre importante pour Georges Bataille. Déjà parce qu’il l’aimait. Mais plus important parce qu’en été 1919, ayant vu l’échec de ses espoirs religieux et ne pouvant se résoudre à une vie tout à fait profane, il voyait en cette union avec la sœur de son ami une voie médiane qui lui aurait permis de vivre malgré tout selon ses principes religieux. La dernière qui lui permettait encore de se raccrocher à son désir de vie pieuse. Il annonce ce projet de mariage comme un « tiède idéal de vie familiale—chrétienne certes—mais encore pleine de jouissances terrestres aussi médiocres qu’honnêtes » dans sa lettre du 10 janvier 1918. On sait que Bataille déjà à l’époque a un caractère absolu, et qu’il ne supporte ni ce qui est tiède, ni ce qui ressemble de près ou de loin à un compromis avec ses aspirations les plus hautes. Il ne se plie à cette conciliation pleine de promesses que contraint par la force des choses et par la « faiblesse de son caractère » qui lui fermait les portes de la vie monacale.
En effet, incapable de se libérer entièrement des désirs de la chair qui le préoccupaient et l’angoissaient, mais en même temps incapable d’y souscrire et de les accepter platement comme simple dimension banale de l’existence terrestre, il voyait dans ce projet de mariage une échappatoire vers laquelle il pouvait tendre toute sa volonté. Cette union lui promettait d’une part de sauver à ses yeux une croyance religieuse qui, on peut le croire, était fortement ébranlée depuis son séminaire à la Barde, et de l’autre de le prévenir de tomber à nouveau par lâcheté dans les faiblesses du corps et de ses plaisirs fades. C’était, on le voit, un idéal compensatoire qui l’aurait consolé de l’ancien, seul vrai, dont il aurait su se contenter, et dont l’échec, s’ajoutant aux autres, a très certainement joué son rôle dans le changement d’attitude qui sera le sien à son retour d’Espagne.

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