Les glossaires, lexiques
et dictionnaires, tels que les publient les éditions Ellipses, sont
des outils pratiques. Semble-t-il. En tout cas, on ne peut imaginer
un site dédié à un penseur qui ne donnerait pas un ensemble de
définitions : cet outil coûte peu et aide beaucoup.
Mais trop s’y fier
trompe. Ce serait oublier que les mots ne sont pas seuls dépositaires
de leur sens, et que leur fréquente utilisation par un penseur les
rend plus glissant que les mots communs du langage ordinaire :
un tel abus, en effet, les transforme. Les mots deviennent concepts,
notions ; abîmes de significations auxquels on doit y regarder
à deux fois avant d’en dire quoi que ce soit. Ces mots tirent leur
sens de ce qu’ils signifient ordinairement, du problème posé que
ces mots aident à résoudre, d’intentions plus cachées de
l’auteur, enfin, des mots qui les entourent. Ce qui fait qu’on ne
peut donner de définition univoque, valant pour chaque occurrence,
et ce pour quelque auteur que ce soit. Mille nuances, mille
subtilités qu’aucun glossaire ne peut révéler.
Ce glossaire doit donc
être lu avec les précautions qui s’imposent, et ne peut remplacer
une lecture attentive des textes eux-mêmes.
Mais encore, on aurait
tort de croire détenir une pensée en en maîtrisant les principaux
termes. Comme le dit Deleuze, une pensée est une île immergée de
la vaste mer du langage et du monde, qui en stabilise une région,
laissant le reste dans une totale indistinction. C'est-à-dire qu’une
pensée n’est pas une collection, mais une topographie. Les liens
qui unissent les concepts entre eux, les concepts avec les problèmes,
les concepts avec les intentions de l’auteur, ainsi qu’avec tout
ce qui reste tu, toutes les permutations que l’on peut imaginer
entre ces termes, sont plus essentiels encore que les définitions
pour comprendre la pensée d’un auteur dans ce qu’elle a de
dynamique et d’opératoire. Ainsi, ce glossaire n’est-il qu’une
aide, un ensemble de jalons, bien insuffisants, qui laissent encore à
faire tout le travail qui permettrait de rendre compte en profondeur
de la pensée de Georges Bataille.
Chose que l’œuvre et
que les commentaires font pour nous, indépendamment de nous.
Il nous semble impossible
de palier un tel défaut, qui est presque un constat d’inutilité.
Un dernier mot encore :
« Conséquence de la solitude. — « Autour de tout esprit profond grandit et se développe sans cesse un masque grâce à l’interprétation toujours fausse, c'est-à-dire plate, de chacune de ses paroles, de chacune de ses démarches, du moindre signe de vie qu’il donne. »
(Par delà bien et mal, 40)
Cette citation de
Nietzsche que Bataille donne dans son Expérience intérieure
(O.C. V p 180) servira de mise en garde finale : toute
vulgarisation prend le risque d’ouvrir à de telles lectures
simplifiées et plates, et un glossaire et sans doute de toutes les
vulgarisations celle qui mène le plus directement aux lectures les
plus étriquées.
Nous ne pouvons que prier
nos lecteurs d’aller toujours au-delà de ce qui sera dit.
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