menu

samedi 21 septembre 2013

Littérature de Georges Bataille



« Je me suis souvent demandé ce que pouvait bien être un roman. La plupart du temps, la question même, à peine posée, me semblait stupide : ne pouvais-je continuer de lire, peut-être même d'écrire des romans, sans savoir au juste le sens du mot ? Je n'étais nullement intrigué, mais il faut dire qu'une ignorance est parfois la chose du monde la plus difficile à préserver. Il en va de l'ignorance comme du repos ... »
« La souveraineté de la fête et le roman américain », OC XI, p 519








Tableau



Légende :
Non publié pour raisons diverses (inachevé, abandonné, etc).
Achevé et non publié.
Récits homonymes (destiné à être publié sous le nom de Bataille) : publiés et non publiés
Récits hétéronymes (destinés à être publiés sous un pseudonyme) : publiés et non publiés

Certains titres se retrouvent plusieurs fois quand la date de rédaction et de publication sont très éloignés. Ils ne sont pas, à l'intérieur des cases, rangés par ordre de publication et d'écriture.
La colonne « Autres et ébauches » est presque inutile, de même que la première ligne. Les titres sont donnés seulement à titre indicatif, puisqu'ils sont accessibles tant dans le tome IV des O.C. que dans le volume Pléiade (sauf en ce qui concerne le « roman proustien » dont l'existence n'est mentionnée que dans le Choix de lettres, et tout pousserait à croire qu'il n'a jamais mené ce projet très loin).
Seuls les pièces de théâtre, radiophoniques et scénarii sont mis en évidence en couleur dans la dernière colonne.




Place des romans de Georges Bataille


Il est absurde et tout à fait arbitraire de séparer les œuvres littéraires des œuvres « intellectuelles », articles et essais, et de diviser de surcroît récits (au sens large) et poésie.
Non pas seulement que sa littérature serait l'illustration romanesque de sa pensée—autre manière de maintenir vivante et ferme la séparation—comme il en va chez Sartre par exemple, mais parce que véritablement les limites et différences de genre n'existent pas chez Georges Bataille. D'une part, parce que tous ses textes naissent tous du même lieu, ont tous la même origine : il naissent d'un centre bouillonnant d'écriture qui mêle instinctivement le récit, l'expression pure de la pensée, poésie, et ce n'est que par après que chaque partie trouve son identité, son indépendance et se développe séparément. Ses carnets et boîtes montrent en effet mêlés ensemble, parfois entremêlés dans le même texte récit et réflexions. Cette indifférenciation se retrouve à différents moments et à différents niveaux : les boîtes dans lesquelles il réunit des papiers pour ses divers projets, regroupent des textes de plusieurs natures. Il ne voyait pas non plus de problème à réunir en un même projet des textes préexistants : c'est ainsi que Georges Bataille a un temps pensé à faire précéder Dirty de L'anus Solaire au sein d'un projet qui se serait appelé Dianae Deae. Il a également songé à intégrer Dirty dans un autre projet, avec d'autres textes, avant de le reprendre comme introduction au Bleu du ciel. Dans la version de 1935 de ce roman, une série d'aphorismes, proches de ce qu'il développe dans L’œil Pinéal et L'anus solaire, suit immédiatement l'introduction. On retrouve aussi, souvent, dans ses essais de la Somme Athéologique, dans le corps même du texte, des poèmes ou des fragments autobiographiques qui viennent ruiner la continuité de la réflexion ou au contraire viennent en renforcer l'intensité en une sorte d'explosion.
L'unité profonde de toutes les formes d'écriture à laquelle Bataille s'est livré n'est donc pas étonnante. On la retrouve à chaque étape : à la naissance de l'écriture, à la genèse des différents projets dans lesquels Bataille envisage de réunir divers textes de nature très différente, à l'arrivée, où de nouveau il mêle intimement les différents genres d'écrits.
Mais cette intrication des genres n'est peut-être pas la forme la plus déroutante : Le bleu du ciel toujours vient remplacer et tien lieu d'un essai consacré au fascisme que Bataille abandonne face à la pression des événements. Plus qu'un roman donc : un essai, un roman, et le commentaire personnel d'une crise générale.

On ne peut donc les séparer que par un souci de clarté qui ne doit pas faire illusion : cette séparation n'est vraiment rien de véritable, n'est que pure pédagogie.
Le tableau permet de voir rapidement certaines choses : on a l'habitude de dire que la littérature est la « part maudite » de l’œuvre de Georges Bataille, vouée par l'auteur à n'exister que sous le patronage d'alter-ego, vouée à hétéronomie seule : Madame Edwarda par Pierre Angélique, L'histoire de l'oeil par Lord Auch, enfin, Le Petit par Louis XXX. Pourtant, Eponine et Dirty après-guerre sont publiés sous son propre nom. Ce n'est pas seulement parce qu'il se sent plus libre de publier sa littérature érotique sous son nom après la guerre : avant elle, il était fermement décidé à publier Le bleu du ciel sous son nom, et après, à publier Ma mère sous pseudonyme. Il y a donc bien un mystère récurrent et persistant au cœur de sa littérature indépendamment des liens qu'elle entretient avec ses textes théoriques : qu'est-ce qui fait que certains textes nécessitent par eux-mêmes le recours à un pseudonyme et que d'autres, tout aussi licencieux, peuvent se permettre de paraître sous le nom de Georges Bataille ?