« Je
me suis souvent demandé ce que pouvait bien être un roman.
La plupart du temps, la question même, à peine posée, me semblait
stupide : ne pouvais-je continuer de lire, peut-être même
d'écrire des romans, sans savoir au juste le sens du mot ?
Je n'étais nullement intrigué, mais il faut dire qu'une ignorance
est parfois la chose du monde la plus difficile à préserver. Il en
va de l'ignorance comme du repos ... »
« La souveraineté de
la fête et le roman américain », OC XI, p 519
Tableau
Légende :
Non publié pour
raisons diverses (inachevé, abandonné, etc).
Achevé
et non publié.
Récits
homonymes (destiné à être publié sous le nom de Bataille) :
publiés
et non publiés
Récits
hétéronymes (destinés à être publiés sous un pseudonyme) :
publiés
et non publiés
Certains
titres se retrouvent plusieurs fois quand la date de rédaction et de
publication sont très éloignés. Ils ne sont pas, à l'intérieur
des cases, rangés par ordre de publication et d'écriture.
La
colonne « Autres et ébauches » est presque inutile, de
même que la première ligne. Les titres sont donnés seulement à
titre indicatif, puisqu'ils sont accessibles tant dans le tome IV des
O.C. que dans le volume Pléiade (sauf en ce qui concerne le « roman
proustien » dont l'existence n'est mentionnée que dans le
Choix de lettres, et tout
pousserait à croire qu'il n'a jamais mené ce projet très loin).
Seuls
les pièces de théâtre, radiophoniques et scénarii sont mis en
évidence en couleur dans la dernière colonne.
Place des romans de Georges Bataille
Il
est absurde et tout à fait arbitraire de séparer les œuvres
littéraires des œuvres « intellectuelles », articles et
essais, et de diviser de surcroît récits (au sens large) et poésie.
Non
pas seulement que sa littérature serait l'illustration romanesque de
sa pensée—autre manière de maintenir vivante et ferme la
séparation—comme il en va chez Sartre par exemple, mais parce que
véritablement les limites et différences de genre n'existent pas
chez Georges Bataille. D'une part, parce que tous ses textes naissent
tous du même lieu, ont tous la même origine : il naissent d'un
centre bouillonnant d'écriture qui mêle instinctivement le récit,
l'expression pure de la pensée, poésie, et ce n'est que par après
que chaque partie trouve son identité, son indépendance et se
développe séparément. Ses carnets et boîtes montrent en effet
mêlés ensemble, parfois entremêlés dans le même texte récit et
réflexions. Cette indifférenciation se retrouve à différents
moments et à différents niveaux : les boîtes dans lesquelles
il réunit des papiers pour ses divers projets, regroupent des textes
de plusieurs natures. Il ne voyait pas non plus de problème à
réunir en un même projet des textes préexistants : c'est
ainsi que Georges Bataille a un temps pensé à faire précéder
Dirty de L'anus Solaire au
sein d'un projet qui se serait appelé Dianae Deae.
Il a également songé à intégrer Dirty dans
un autre projet, avec d'autres textes, avant de le reprendre comme
introduction au Bleu du ciel.
Dans la version de 1935 de ce roman, une série d'aphorismes, proches
de ce qu'il développe dans L’œil Pinéal et
L'anus solaire, suit
immédiatement l'introduction. On retrouve aussi, souvent, dans ses
essais de la Somme Athéologique,
dans le corps même du texte, des poèmes ou des fragments
autobiographiques qui viennent ruiner la continuité de la réflexion
ou au contraire viennent en renforcer l'intensité en une sorte
d'explosion.
L'unité
profonde de toutes les formes d'écriture à laquelle Bataille s'est
livré n'est donc pas étonnante. On la retrouve à chaque étape :
à la naissance de l'écriture, à la genèse des différents projets
dans lesquels Bataille envisage de réunir divers textes de nature
très différente, à l'arrivée, où de nouveau il mêle intimement
les différents genres d'écrits.
Mais
cette intrication des genres n'est peut-être pas la forme la plus
déroutante : Le bleu du ciel toujours
vient remplacer et tien lieu d'un essai consacré au fascisme que
Bataille abandonne face à la pression des événements. Plus qu'un
roman donc : un essai, un roman, et le commentaire personnel
d'une crise générale.
On
ne peut donc les séparer que par un souci de clarté qui ne doit pas
faire illusion : cette séparation n'est vraiment rien de
véritable, n'est que pure pédagogie.
Le
tableau permet de voir rapidement certaines choses : on a
l'habitude de dire que la littérature est la « part maudite »
de l’œuvre de Georges Bataille, vouée par l'auteur à n'exister
que sous le patronage d'alter-ego, vouée à hétéronomie seule :
Madame Edwarda par
Pierre Angélique, L'histoire de l'oeil par
Lord Auch, enfin, Le Petit par
Louis XXX. Pourtant, Eponine
et Dirty après-guerre
sont publiés sous son propre nom. Ce n'est pas seulement parce qu'il
se sent plus libre de publier sa littérature érotique sous son nom
après la guerre : avant elle, il était fermement décidé à
publier Le bleu du ciel sous
son nom, et après, à publier Ma mère sous
pseudonyme. Il y a donc bien un mystère récurrent et persistant au
cœur de sa littérature indépendamment des liens qu'elle entretient
avec ses textes théoriques : qu'est-ce qui fait que certains
textes nécessitent par eux-mêmes le recours à un pseudonyme et que
d'autres, tout aussi licencieux, peuvent se permettre de paraître
sous le nom de Georges Bataille ?