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dimanche 7 avril 2013

La dissipation

« Etudes au lycée de Reims, très mauvais élève, pratiquement mis à la porte en janvier 1913 »
Georges Bataille, OC VII, p 459


La Dissipation

Sa famille ayant déménagé à Reims, c’est au seul collège de Reims—qui est devenu aujourd’hui le Lycée Georges Clémenceau—que le jeune Georges Bataille commence sa scolarité. Et il semble qu’elle se soit fort mal passée : en janvier 1913 (il a alors 15 ans), il quitte l’école, ayant été « pratiquement mis à la porte ». Les premières lignes de sa notice autobiographique concernent cette expérience désastreuse, la résument en quelques phrases lapidaires.

On retrouve dans Le Petit une autre évocation de cet abandon. Bataille y affirme que la décision d’arrêter l’école était la sienne : « un beau matin de décembre, j’avais prévenu mes parents hors d’eux que je ne mettrai plus les pieds au lycée. Aucune colère ne changea ma résolution. »
Sans se contredire tout à fait, les deux formules ne semblent pourtant pas dire exactement la même chose. Si elles sont tout à fait rigoureuses, cela signifierait que fin 1912, il ait fermement décidé d’arrêter de suivre les cours, et qu’il n’aurait été mis à la porte, ou invité à partir, un mois après.

La notice nous informe de la suite. Il a vécu alors plusieurs mois d’inaction, jusqu’en octobre. Période semble-t-il entièrement occupée en longues méditations, en lectures et en promenades à vélo. Il reprendra ses études au Lycée d’Eperney. Il y entrera « volontairement comme pensionnaire », ce qui lui permettra d’échapper en partie à son environnement familial. Ce n’est qu’alors qu’il devint un bon élève.

Toute sa scolarité avant cela avait été, apparemment, plutôt médiocre. Ce qui expliquerait parfaitement son refus de poursuivre ses études ainsi que son renvoi. Bataille écrit en effet, dans sa Méthode de Méditation :

« A treize ( ?) ans, toutefois je demandais à un camarade quel était, de l’étude, le plus paresseux : c’était moi ; mais de tout le lycée, moi, encore. En ce temps-là, je me rendais la vie difficile, faute d’écrire sous la dictée. Les premiers mots du professeur se formaient docilement sous ma plume. Je revois mon cahier d’enfant : je me bornais bien vite à griffonner (je devais me donner l’air d’écrire). Je ne pouvais le jour venu faire un devoir dont je n’avais pas écouté le texte : sous les punitions redoublées, je vécu longuement le martyr de l’indifférence. » (page 210)

Ce passage de l’article Art primitif, écrit en 1930 pour sa revue Documents, offre un complément plus détaillé :
« Personnellement, je me rappelle avoir pratiqué de tels griffonnages : je passai toute une classe à badigeonner d’encre avec mon porte-plume le costume de mon voisin de devant. Je ne puis me tromper aujourd’hui sur le sentiment qui m’inspirait. Le scandale qui en résulta interrompit une béatitude du plus mauvais aloi. Plus tard, je pratiquais le dessin d’une façon moins informe, inventant sans trêve des profils plus ou moins comiques, mais ce n’était pas n’importe quand ni sur n’importe quel papier. Tantôt, j’aurais dû rédiger un devoir sur ma copie, tantôt, j’aurais dû écrire sur un cahier la dictée du professeur. » Pratique qu’il met en parallèle dans cet article avec les dessins que les enfants abyssiniens faisaient sur les colonnes et les portes des églises.


Un élève Sérieux

 Il semble qu’il se soit mis plus sérieusement au travail une fois pensionnaire à Eperney. Il écrit dans sa notice autobiographique (OC VII, p 459) qu'il y « devient alors bon élève ». Il y obtient d’ailleurs son premier Baccalauréat en 1914. Sans doute un effet de l’éloignement par rapport à son foyer. Cependant, il ne faut sans doute pas y voir un changement radical de son attitude et de son comportement, si toutefois il faut en croire le court passage du bleu du ciel dans lequel il raconte s’être longtemps ennuyé et s’être, un soir, automutilé :

« je me rappelais ceci de déprimant. J’avais été pensionnaire dans un lycée. Je passais les heures d’étude à m’ennuyer, je restais là, presque immobile, souvent la bouche ouverte. Un soir, à la lumière du gaz, j’avais levé mon pupitre devant moi. Personne ne pouvait me voir. J’avais saisi mon porte-plume, le tenant, dans le poing droit fermé, comme un couteau, je me donnais de grands coups de plume d’acier sur le dos de la main gauche et sur l’avant-bras. » (page 454)

Bien sûr, ce passage est un passage de roman, mais comme il le dit de l’histoire de l’œil, ce roman très certainement n’est « qu’en partie fictif ». Son personnage, Troppmann a en effet de nombreuses similitudes avec Georges Bataille et l’on peut reconnaître dans les autres personnages des personnes de l’entourage de l’auteur. Cet ennui et cette mutilation peuvent très bien être eux aussi des souvenirs que le personnage emprunte à l’auteur.
Georges Bataille devint plus sérieux encore par la suite, obtenant son Baccalauréat de philosophie par correspondance. A l’école des Chartes, où il entre en 1918, il se révélera être un élève brillant qui forcera l’admiration de tous.


Sources et Citation
 Michel Surya : la Mort à l’œuvre. Editions Seguier. 
Georges Bataille : Le Petit. Editions Pauvert.
Georges Bataille : Histoire de l’œil, L’Anus Solaire, L’art Primitif, O.C tome premier. Editions Gallimard.Georges Bataille : Notice autobiographique, O.C. VII. Editions Gallimard.

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