« Et tout d'abord j'épouserai, si Dieu veut, Marie D. Admets cela comme un acte de ma volonté, il ne s'agit pas là d'une vaine séduction et tu sais bien comment j'ai été séduit. Il ne s'agit que de ma volonté et si, dans cette pleine possession de soi, cet acte t'en déplaît, c'est que tu ne m'aimes pas encore comme je dois l'être. ». Georges Bataille, Lettre à Marie-Louise Bataille. 9 août 1919
Une
Généalogie Lourde
Georges
Bataille voulut se marier avec une des grandes sœurs de son ami
d’enfance Georges Delteil ; Marie (née le 18 août 1898).
Nous avons trace de ce désir dans une lettre datée du 10 janvier
1918. Il l'évoque alors comme une possibilité parmi d'autres. Ce
n'est que l'année d'après se décide à faire sa demande, ne voyant
plus le mariage comme une possibilité parmi d'autres, mais comme
étant la seule désirable.
La
main de Marie lui fut refusé. Il semble que ce refus ait porté non
pas sur la personnalité de Georges, qui à l’époque n’était
pas encore celui qu’il sera—il était alors en effet épris de
religion, sage, et faisait la fierté du village—mais sur sa
famille, ou plutôt sa généalogie et les risques qu’elle faisait
encourir à une éventuelle descendance.
En
effet, il y a un cas avéré de consanguinité, éventuellement un
deuxième (mais Michel Surya, dans sa biographie, considère cela
douteux et penche plutôt pour une simple homonymie). Plus
inquiétant, plus proche et de plus de poids : la syphilis du
père, déjà contractée et à un stade avancé quand Bataille fut
conçu et les récentes crises de folie de la mère.
Tout
cela ne pouvait que laisser craindre le pire.
Le
plus étonnant dans ce refus est que Georges donne raison aux parents
de Marie et partage leur avis. Il s’attriste, se désespère même
(« je
me serais tué assez volontiers »
avoue-t-il dans sa lettre du 29 octobre 1919) mais il ne se révolte
ni ne s’indigne. Il s’en étonne encore moins : il sait en
effet « ce
que son mariage peut avoir d’inconvénients, c'est-à-dire que
peut-être, il a plus qu’un autre des chances d’avoir un enfant
malsain ; et [il] trouve assez juste qu’on l’écarte »
seulement, reproche-t-il, « il
fallait le faire un peu plus tôt »,
avant que les deux enfants ne se lient ensemble par un amour
réciproque et nourri par l’espoir d’une union autorisée et
possible.
Dans
un premier temps, il semble qu'encore une fois, Bataille ne parvienne
pas à se faire une raison :
« voilà que Marie D est pour ainsi dire perdue pour moi et que je l'aime de toute ma droiture avec la volonté d'outrepasser même la volonté ».
Mais
devant le caractère inéluctable du refus, il ne peut que s'y plier
lui-même :
« Et en somme, avec Marie D tout est bien fini. Jeanne [Jeanne Delteil (22 février 1897) était la grande sœur de Marie et de Georges Delteil] lui a écrit de ne pas se faire d'illusions parce que ses parents n'accepteraient jamais […] Il reste que je n'ai en quelque sorte plus un seul espoir de ce côté car elle est bien trop une fille obéissante et, d'ailleurs, je ne l'accepterais pas autrement que du bon gré de ses parents. »
Cette
union avec Marie Delteil était à plus d’un titre importante pour
Georges Bataille. Déjà parce qu’il l’aimait. Mais plus
important parce qu’en été 1919, ayant vu l’échec de ses
espoirs religieux et ne pouvant se résoudre à une vie tout à fait
profane, il voyait en cette union avec la sœur de son ami une voie
médiane qui lui aurait permis de vivre malgré tout selon ses
principes religieux. La dernière qui lui permettait encore de se
raccrocher à son désir de vie pieuse. Il annonce ce projet de
mariage comme un « tiède
idéal de vie familiale—chrétienne certes—mais encore pleine de
jouissances terrestres aussi médiocres qu’honnêtes »
dans sa lettre du 10 janvier 1918. On sait que Bataille déjà à
l’époque a un caractère absolu, et qu’il ne supporte ni ce qui
est tiède, ni ce qui ressemble de près ou de loin à un compromis
avec ses aspirations les plus hautes. Il ne se plie à cette
conciliation pleine de promesses que contraint par la force des
choses et par la « faiblesse
de son caractère »
qui lui fermait les portes de la vie monacale.
En
effet, incapable de se libérer entièrement des désirs de la chair
qui le préoccupaient et l’angoissaient, mais en même temps
incapable d’y souscrire et de les accepter platement comme simple
dimension banale de l’existence terrestre, il voyait dans ce projet
de mariage une échappatoire vers laquelle il pouvait tendre toute sa
volonté. Cette union lui promettait d’une part de sauver à ses
yeux une croyance religieuse qui, on peut le croire, était fortement
ébranlée depuis son séminaire à la Barde, et de l’autre de le
prévenir de tomber à nouveau par lâcheté dans les faiblesses du
corps et de ses plaisirs fades (et Paris, où il menait alors ses
études, n'était pas avare de ces plaisirs-là). C’était, on le
voit, un idéal compensatoire qui l’aurait consolé de l’ancien,
seul vrai, dont il aurait su se contenter, et dont l’échec,
s’ajoutant aux autres, a très certainement joué son rôle dans le
changement d’attitude qui sera le sien à son retour d’Espagne.
Sources
Michel
Surya :
la
Mort
à l’œuvre.
Editions Seguier.
Choix
de Lettres. Gallimard.
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